Le litchi malgache dans le rouge

Depuis le 27 novembre dernier, la campagne de litchi est officiellement ouverte à Madagascar. Dans le Sud-est de l’île, l’exportation génère un nombre d’emplois important et constitue une source de devises non négligeable pour le pays. Pourtant, la filière litchi malgache doit faire face à une concurrence de plus en plus rude venue d’Afrique du Sud.

Rudimentaire, la camionnette…Il est à peine six heures du matin et, brinquebalante, elle quitte la petite ville de Manakara. Très rapidement, le chauffeur abandonne la route nationale pour s’engager sur une piste en terre rouge qui traverse les rizières. Il fait déjà très chaud. A l’arrière du véhicule, une centaine de garabs vides. Les garabs, ce sont les paniers en bambous qui servent à transporter les litchis. Chaque panier peut contenir environ 18 kilos de fruits. Au volant : Christian.  Habituellement conducteur de taxi brousse, il a pris des congés spécialement pour pouvoir faire la récolte de litchis. Il fait cela chaque année, depuis 5 ans : « On travaille beaucoup, mais il y a de l’ambiance pendant la collecte. Je ne rate jamais une campagne », confie-t-il en klaxonnant pour faire dégager la charrette à zébus qui lui bloque le passage. Le long de la piste, des garabs bien alignés attendent. Ceux-là sont pleins. « Combien ça coûte ? », crie Béatrice Rafaravavihenjana, la jeune collectrice de 23 ans, sans même prendre la peine de sortir de la voiture. Le démarcheur lui apporte une petite grappe : « 3000 Ariarys (environ 1,20 euros) le garab ! ». Trop cher pour des fruits qui paraissent bien petits. Béatrice fait un signe au chauffeur. Il vaut mieux faire encore quelques kilomètres. 

Les garabs alignés sur le bord de la piste attendent les collecteurs

Trente minutes plus tard, quelques garabs plus loin, le village de Behanana. Accueil festif. La venue des collecteurs est une aubaine pour les villageois, car les collecteurs des sociétés d’export sont les premiers de la saison à se déplacer en brousse. Ceux du marché local attendent que les fruits soient plus mûrs. En plus, les litchis destinés à l’exportation sont achetés aux paysans deux fois plus cher. A peine la portière de la camionnette ouverte, les producteurs se précipitent sur les paniers. Béatrice échange ses garabs vides contre un nom, griffonnée à la va-vite sur un cahier d’écolier. Elle repassera dans quelques heures les rechercher, directement chez les producteurs. La collectrice prend surtout le temps d’expliquer ce qu’elle attend : « Les fruits doivent être gros comme ça », dit-elle en montrant un litchi d’une trentaine de millimètres. « Je prends uniquement ceux qui sont encore à moitié verts, et puis il faut enlever toutes les tiges! ». Pour ces petits producteurs, qui possèdent en moyenne deux pieds de litchis, si cette collecte destinée à l’exportation est l’occasion d’avoir un peu d’argent facilement, ils s’inquiètent toutefois des normes strictes qui évoluent d’année en année. Ils craignent que leurs litchis, une fois cueillis et ôtés de leur tige, ne soient refusés par le collecteur. Dans ce cas, les fruits récoltés trop tôt seront invendables sur le marché local.  

Distribution de garabs vides par la collectrice

DES NORMES DE PLUS EN PLUS STRICTES

En plus du calibre, les normes phytosanitaires et sanitaires doivent être obligatoirement respectées depuis 2007. Hery Ralaimiza, responsable du référentiel Global Gap d’une entreprise d’export explique : « des supermarchés se sont associés en Europe, pour mettre en place le référentiel Global Gap. Ils exigent une traçabilité sur le fruit. Et si le cahier des charges n’est pas respecté, nous ne pouvons pas exporter. Désormais, nous devons aussi contrôler les producteurs en brousse ». Le référentiel concerne l’hygiène, la sécurité et la santé. Il faut, par exemple, se laver les mains avant la récolte et le triage des fruits, construire des latrines, éviter que les zébus ne paissent à proximité des arbres. Les mesures paraissent évidentes, mais elles sont loin d’être respectées. « Il est difficile de faire changer les mentalités des producteurs », regrette Hery  Ralaimiza. « Ils nous disent que ça a toujours bien fonctionné ainsi, et nous demandent pourquoi il faut changer ». Pourtant, le non respect de toutes ces consignes risque de mettre la filière litchi malgache sur la touche. Si ces normes ne sont pas appliquées, les clients européens n’hésiteront pas à se tourner vers d’autres pays producteurs. 

Les litchis destinés à l'exportation doivent être ôtés de leur tige

LA CONCURRENCE VIENT D’AFRIQUE DU SUD

Le litchi sud-africain…la hantise des exportateurs malgaches. Pourtant, avec ses 25 000 tonnes de fruits exportés en moyenne chaque année, le litchi malgache ne devrait rien avoir à envier à son voisin sud-africain qui en produit cinq fois moins. Et si du côté de La Réunion et l’Ile Maurice, il n’y a rien à craindre (en proposant du litchi frais et branché, ils ne se situent pas sur le même créneau que Madagascar), en revanche, l’Afrique du Sud, qui exporte aussi par voie maritime, est un sérieux concurrent.

départ pour la société d'exportation

Jusqu’à présent, Madagascar a su relever le défi en réussissant à fournir le marché européen plus tôt que son concurrent sud-africain. Aujourd’hui, le pays continue de fournir 70% du marché européen, contre 28 % pour l’Afrique du Sud. Mais de plus en plus, l’horizon s’obscurcit.  Pour M. Laurent, chargé de la recherche et du développement au sein d’une société d’exportation, l’Afrique du Sud est une menace: « Depuis quelques années, l’Afrique du Sud s’est engagée dans la recherche de variétés plus précoces. Avant, ils avaient  deux ou trois semaines de retard sur Madagascar mais maintenant les litchis sud-africains arrivent en même temps que les nôtres. C’est un gros problème pour nous parce que là-bas, ce sont des plantations. Pas comme ici. Du coup, le calibre est nettement plus homogène et plus gros que celui de Madagascar ». L’avenir de cette filière, qui génère environ 15 millions d’euros chaque année, est donc incertain. A moins que de nouveaux débouchés ne soient trouvés….Mais avec la crise que connait le pays actuellement, rien n’est moins sûr.

Elise François-Dainville