A Madagascar, une île où la déficience physique et mentale reste tabou, un centre Saint-Vincent de Paul prend en charge les enfants handicapés.
Accroupie dans le sable, à l’ombre d’un frangipanier, Malala ramasse les cailloux qui servent à jouer au tantara, un jeu traditionnel malgache. Chaque caillou est un personnage que l’on fait parler en frappant la petite pierre avec une autre. Malala, elle, ne fait que taper sur les cailloux. Elle ne dit rien, elle ne connaît d’ailleurs que trois mots : « maman », « papa », et « bonjour ». Malala, 15 ans, est autiste. Son regard noir, intense, témoigne de la profondeur de son monde intérieur, impénétrable. Derrière elle, Harisoa, 16 ans, se balance d’avant en arrière sur une natte, éclate de rire de temps en temps, d’un rire hystérique, angoissé. Les enfants de la classe maternelle qui jouent dans la cour s’amusent de l’étrange comportement des adolescentes. Certains touchent un peu le bras de Malala, pour la provoquer. Educatrices et institutrices surveillent ce manège. La récréation doit être un moment de sociabilisation.
Le centre d’éducation spécialisée Saint-Vincent-de-Paul de Manakara, créé en 1991 par une américaine, Sœur Catherine, est l’un des quinze d’établissements pour handicapés de Madagascar. «La prise en charge de l’enfant handicapé n’est pas structurée dans l’île, explique Laurent Guttierez, éducateur spécialisé. Normalement le dépistage se fait à l’école, mais en brousse, les handicapés n’y vont pas ». Les personnes handicapées restent cachées à la maison, moins de 10% sont scolarisées. Dans la culture malgache, la déficience mentale est un tabou. Les gens racontent qu’elle vient d’une transgression des interdits, d’un acte de sorcellerie ou d’une malédiction.
Le centre Saint-Vincent-de-Paul de Manakara accueille une soixantaine d’enfants, âgés de 4 à 20 ans, souffrant de handicaps physiques ou mentaux. La plupart sont originaires de la région, mais certains viennent de plus loin, de brousse, parfois même de la capitale. 29 éducateurs spécialisés, souvent d’anciens instituteurs, travaillent en permanence dans le centre, accompagnés d’un kinésithérapeute, d’un ergothérapeute et d’un orthophoniste. Ils sont formés par des coopérants venus d’Europe et par l’association Handicap international. «Quand je suis arrivé, j’ai constaté qu’il n’y avait aucune prise en compte de ce que pouvait ressentir l’enfant au niveau affectif et relationnel. Les éducateurs, formés avec les moyens du bord, s’attachent surtout à la technique et oublient toute la dimension psychologique», explique le français Laurent Gutierrez, qui vient de passer deux ans à Manakara.
Les enfants handicapés suivent des cours de motricité, d’éveil, mais aussi de catéchisme et de vie pratique. « Nous leur apprenons à faire leur toilette, le ménage, du rangement… Plus ils seront autonomes, moins leur famille les considèrera comme un poids », explique Madame Madeleine, la directrice. Les salles de classes sont alignées autour d’une cour. Celle du kinésithérapeute, Olivier, a des allures d’entrepôt. Le « kiné » montre une brochure de matériel paramédical datée de 1990 : « J’ai utilisé ce catalogue pour modèle et j’ai tout fait faire ici par le menuisier. C’est du solide ! », dit-il fièrement. Rampe, escalier, corset, déambulateur, tous est en bois massif. Une fillette entre, qui tient à peine debout. Olivier la place sur la planche de bois coupée, un « verticalisateur ». En guise de sangles : de vieux bouts de tissus…
Dans la salle d’à côté, l’ergothérapeute sort ses outils de travail: des tiges de bois sur lesquelles les enfants doivent apprendre à enfiler des rouleaux de papier toilette vides, une bassine d’eau où flottent des objets faciles à attraper… « Nous ne pouvons pas nous offrir de matériel spécialisé alors on fait avec ce qu’on a ».
A Madagascar, l’un des pays les plus pauvres du monde, (145 ème Etat sur 182 selon l’Indice de développement humain du PNUD), la reconnaissance des handicapés et leur insertion professionnelle n’est pas une priorité du gouvernement. Les aides publiques sont inexistantes. Le centre Saint-Vincent-de-Paul tourne donc sur des fonds privés, principalement des dons d’associations européennes. Malgré la crise financière et le coup d’Etat de 2009 à Madagascar, les financements sont restés stables. Mais ils ne permettent pas d’accueillir plus d’handicapés.
Seuls les enfants « autonomes », c’est-à-dire ceux qui savent marcher et se débrouiller un minimum seuls, sont acceptés. Les autres, externes, viennent prendre quelques cours à l’école. Ils vivent dans des familles d’accueil, rémunérées entre 10 000 et 40 000 ariarys au maximum par mois (entre 4 et 16 euros environ), selon le nombre d’enfants accueillis et le type de handicap. Joséphine, 40 ans, héberge trois jeunes chez elle : Alphonsine, très lourdement handicapée physiquement, Malala, l’autiste au regard sombre, et Tsinjo, autiste lui aussi.
Joséphine vit dans une minuscule case traditionnelle construite en ravinala. La pièce unique a deux lits, un pour les enfants handicapés, l’autre sa fille de 11 ans et elle. Pas un jouet, pas un livre, rien pour s’amuser. « Il y a 6 ans, Soeur Catherine m’a proposé d’accueillir un enfant handicapé. Comme j’étais pauvre, cet emploi de nounou me convenait parfaitement. Après ma fille, je n’ai jamais pu avoir d’autre enfant. Ces petits sont des dons de Dieu. Je me fiche de ce que peuvent penser les voisins ».
Les enfants devraient normalement rester chez elle, jusqu’à leur 20 ans. Passé cet âge, le centre Saint-Vincent-de-Paul ne les acceptera plus. Joséphine s’interroge : « La loi oblige les parents à reprendre leurs enfants s’ils ne sont pas autonomes, mais s’ils refusent, que deviendront-ils ? »
Elise François-Dainville