« Passage à l’acte » (format radio) 20141003

Pour la cinquième année consécutive, l’ITEP (Institut Thérapeutique, Educatif et Pédagogique) Leconte de Lisle de Luxeuil-les-Bains (qui fait partie de l’Association Laïque pour l’Education la Formation la Prévention et l’Autonomie), a lancé le projet culturel « Passage à l’acte ». Huit enfants de 9 à 15 ans y participent pendant deux semaines. Objectif : réaliser un album qui sortira en décembre. Cette première semaine a été consacrée à l’écriture des chansons. Elise François-Dainville a promené son micro pendant l’atelier.

 

Combats de coqs: la danse ultime des gladiateurs ailés

A Madagascar, les combats de coqs sont répandus. Presque chaque commune est dotée de son propre « gallodrome ». Reportage à Manakara, au Sud-Est de l’île.

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On raconte qu’au temps des rois, dans le royaume Imerina (au centre Nord de Madagascar), le monarque Andrianampoinimerina, organisait des combats de coqs dans son palais. C’était au XVIIIème siècle. Trois cents ans plus tard, la pratique s’est répandue sur toute l’île.

A Manakara, les combats attirent chaque week-end plus d’une centaine de spectateurs. Ce sont surtout des hommes venus parier, et se défouler. Sous le chapiteau en falaf construit spécialement par la mairie pour abriter les combats, l’ambiance est virile. Ici, le langage a été déjà tellement trivial que le comité du Coq Fighting de la ville, l’association qui régit l’organisation des combats, a voté une nouvelle clause dans le règlement : injures et obscénités sont interdites lors des combats, sous peine d’exclusion. Le public se tient donc à carreaux, mais tant bien que mal. Il faut dire que les enjeux sont importants, à la hauteur des sommes engagées.

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LES COQS LUTTENT JUSQU’À ÉPUISEMENT

Robot, Dollar, Chirurgien ou encore Ben Laden, chaque coq reçoit son nom après un premier combat glorieux. Le nom symbolise le courage de l’animal. S’il recule devant l’adversaire, le coq doit mourir de la main de son maître, dont l’honneur aura été bafoué. Poids, taille, âge, tout compte dans une bataille coq. Une fois les paris lancés, les gallinacés sont nettoyés à l’eau par l’arbitre pour éviter la triche. Les pattes pourraient avoir été enduites de piment, salpêtre, ou autre produit chimique susceptible d’abîmer les yeux de l’adversaire, et de le déstabiliser…

Une fois les paris lancés, les gallinacés sont nettoyés à l'eau par l’arbitre pour éviter la triche.
Une fois les paris lancés, les gallinacés sont nettoyés à l’eau par l’arbitre pour éviter la triche.

Vient l’heure du combat. Les jockeys placent les deux coqs l’un en face de l’autre. Déjà, les plumes du cou se hérissent en collerette, pour impressionner l’autre. Ils se jaugent, le cou tendu et le corps à l’horizontal.

Puis tout s’accélère. Les coqs se jettent l’un sur l’autre avec une rapidité stupéfiante. Un coup de bec sur la tête pour prendre appui, un battement d’ailes pour décoller les pattes du sol. Les ergots vont directement frapper à la tête de l’adversaire. Le coup est violent, capable de faire perdre conscience à l’animal.

Les coqs se jaugent, le cou tendu et le corps à l’horizontale.
Les coqs se jaugent, le cou tendu et le corps à l’horizontal.

Dans ce combat, les coups portés sont tellement rapides qu’il est même difficile d’en distinguer les étapes. On croirait que les coqs sont en train de danser, sauf qu’ils sont en train de s’entre tuer. Le bruit des ailes couvre celui des coups de becs. Mais rapidement, les pattes se mettent à trembler, le sang à couler: les crampes paraissent insoutenables. L’un des deux adversaires est obligé de se reposer un instant, sous les encouragements du public et des parieurs.

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C’est là que le jockey entre en scène. Il est l’équivalent du cut-man du combat de boxe. Il soigne, et surtout, il encourage le coq en permanence, par la voix, et en l’aspergeant d’eau fréquemment pour rafraîchir, mais aussi pour exciter le coq. Entre chaque touche (sortie de ring inopinée), le jockey soigne son gladiateur qui ne ressort jamais indemne de ce combat. Son rôle est déterminant puisqu’il peut décider de cesser le combat pour la survie de son coq. A Manakara, les combats sont rarement fatals. Ils s’achèvent lorsque l’un des deux adversaires abandonne l’arène.

Le jockey soigne, et  encourage le coq en permanence,
Le jockey soigne et encourage le coq en permanence.

EN DEHORS DES COMBATS, LES COQS SONT CHOYÉS

« C’est comme des boxeurs, il faut les entretenir, les bichonner », explique Olivier, propriétaire du plus grand parc du Sud-Est de Madagascar. Dorlotés, choyés, ils suivent toutefois un régime de vie très stricte. Ils combattent deux fois tous les quinze jours et c’est seulement après cinq jours de repos total que l’entraînement peut recommencer, chaque matin aux aurores. Friction, musculation pour renforcer la propulsion des ailes, épreuves de réflexes, les techniques sont adaptées à chaque animal. L’ultime exercice vise à éprouver l’agressivité de l’animal : placé face à un autre coq de combat, on évalue son envie de se battre.

Les coqs jouissent par ailleurs d’un régime alimentaire particulier : ils sont nourris de maïs, riz, viande, bananes et même de viande rouge. Certains racontent même que l’on donne des poussins vivants à ces coqs pour leur donner le goût du sang et du combat. Pour renforcer leur constitution, les animaux bénéficient de compléments alimentaires. Si les hormones sont difficiles à trouver à Madagascar, les propriétaires peuvent s’approvisionner en calcium, fer et vitamines chez le vétérinaire. Les coqs sont vaccinés tous les trois mois contre la variole, la peste ou le choléra. « C’est comme des enfants, il faut les protéger. Ils sont très vulnérables », explique Olivier qui raconte aussi avoir perdu cent coqs en 2003 à cause de maladies. A force d’entraînement et de régime alimentaire particulier, certains coqs de combat vont jusqu’à peser 5 kilos.

L’ultime exercice vise à éprouver l’agressivité de l’animal : placé face à un autre coq de combat, on évalue son envie de se battre.
L’ultime exercice vise à éprouver l’agressivité de l’animal : placé face à un autre coq de combat, on évalue son envie de se battre.

Tout cela représente un certain coût. Au quotidien, un coq de combat coûte environ 600 Ariarys, soit l’équivalent d’un repas pour deux personnes environ. Chaque mois, Olivier dépense 600 000 Ar (250 euros environ) pour l’entretien de ses coqs, soit l’équivalent de huit salaires moyens à Madagascar. A cela, il faut ajouter les dépenses liés aux soins dispensés après chaque combat. Parfois, le bec est cassé, parfois, ce sont les yeux qui ont été crevés…

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« Ça c’est un champion! Qui veut parier? »

Le coq en lui-même coûte déjà très cher. A l’heure actuelle, l’espèce en vogue à Madagascar est le « chair noire ». Chez ce coq, tout est noir: les yeux, le bec, et les pattes. Il est très prisé pour sa force de frappe. A trois mois, il coûte déjà 40 000 Ariays, soit 13 euros environ. Olivier, lui, fait venir ses coqs de l’île voisine de La Réunion. Un coq lui coûte donc entre 300 000 et 600 000 Ar, soit environ 200 euros. Chaque année, il y a un nombre difficile à déterminer de coqs importés clandestinement à Madagascar. Les vols de coqs sont nombreux « Parfois les voleurs préfèrent s’emparer des coqs de combat entraînés, plutôt que de la télévision« , raconte Olivier.

LES COMBATS DE COQS : UN BUSINESS LUCRATIF

La crise politique et sociale qui sévit actuellement dans le pays ne décourage pas les passionnés. Au contraire : il semble que le  combat de coqs soit devenu un exutoire et qui peut rapporter gros.

Certains sont capables de miser leur salaire, leur terrain, leur maison, ou même leur femme
Certains sont capables de miser leur salaire, leur terrain, leur maison, ou même leur femme

A 39 ans, Pita Andriarimalala est un vrai passionné. Cette passion lui vient de son grand-père qui élevait lui-même des coqs de combat. « C’est mon passe temps favori, en dehors de ma famille », confie celui qui avoue aussi demander à sa femme la permission d’aller jouer. Pita possède quatre coqs de combat, dont les combats lui assurent la moitié de ses revenus mensuels. Certains sont capables de miser leur salaire, leur terrain, leur maison, ou même leur femme ! Au final, l’intérêt lucratif a largement dépassé le côté ludique. Quant aux associations de défense des animaux, elles sont pratiquement inexistantes, et encore très peu influentes sur l’île rouge.

Elise François-Dainville

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Rose, une Française du bout du monde – juillet 2010

A Madagascar, Rose Bègue, 35 ans, a la nationalité française. Elle n’a pourtant jamais été en France. 

De la France, elle ne connaît que ce qu’on lui a raconté. Elle n’y est jamais allée. Le voyage est inenvisageable avec son petit salaire d’aide ménagère de 100000 ariarys mensuels (40 euros). Et puis pour quoi faire ? Sa vie est ici, à Madagascar, avec son mari, et leurs deux enfants. Ils habitent une petite case de deux pièces, sans l’eau courante, ni l’électricité. En guise de sanitaires, un trou au fond de la cour, que les quatre familles du carré se partagent. Elle mange du riz matin, midi et soir, comme beaucoup de Malgaches, et elle parle français presque sans faute. Rose Bègue, 35 ans, est française, binationale  plus exactement. Son père est français, sa mère est malgache. Mais comme dans la juridiction française, c’est le droit du sang qui prévaut, Rose et ses 6 frères et sœurs sont tous français, même si presqu’aucun d’entre aux n’a encore mis les pieds en France.

Dans la petite ville du Sud-est de Madagascar où Rose habite, il y a environ 120 binationaux. La plupart sont les enfants et petits-enfants des anciens colons français. Aujourd’hui, complètement assimilés à la population malgache, ils vivent souvent dans une grande pauvreté. On les appelle « vazaha lany mofo » (les étrangers qui n’ont plus de pain) ou les « vazaha tara sambo » (en retard pour le bateau vers la France, après l’indépendance), une façon péjorative de les différencier des expatriés européens, chinois, ou indiens, au niveau de vie bien plus élevé.

Rose et sa fille Hortensia, dans la maison des Vazahas où elle travaille comme aide ménagère

 Rose se souvient de son passage à l’école française de Manakara: « c’était difficile, car au départ, je ne parlais pas français. Comme je n’avais pas beaucoup de vêtements et qu’ils étaient souvent sales, les autres se moquaient de moi ».  Son père, Georges Bègue, un blond aux yeux bleus, est né et a grandi à Madagascar. Au moment de l’indépendance en 1960, ses parents, des colons isolés en brousse, ont choisi de rester sur place. Leur vie était ici, sur leur exploitation. Puis le temps à passé, les maladies ont emporté leurs zébus, les différentes crises politiques et économiques du pays ne les ont pas épargnés, les plongeant dans une grande précarité. Georges, lui, n’est allé qu’une seule fois en France, pour tenter sa chance. Mais là-bas, il se sentait comme un étranger. Il a préféré retourner sur son île natale, où sa femme et leur premier enfant l’attendaient.

Le père de Rose, Georges Bègue, est né à Madagascar. Fils d’anciens colons, il n’est allé qu’une seule fois en France.

Rose brandit un papier corné, jauni par le temps : « Le seul document qui prouve que je suis française, c’est ce CNF, le certificat de nationalité française. Un papier qu’il ne faut surtout pas perdre ». Ses deux filles Rosana et Hortensia, 5 et 3 ans, devraient aussi l’obtenir, droit du sang oblige. Mais pour la troisième fois en quatre ans, le Consulat de France à Tananarive lui a renvoyé son dossier. Il manque des pièces. Le certificat de nationalité française est pourtant indispensable car il permet d’obtenir des bourses d’étude. Sans celui-ci, la rentrée prochaine de ses filles à l’école française est compromise. Le salaire de Rose ne suffira pas pour honorer les frais de scolarité qui sont très élevés. Rose est découragée: « C’est un souci quotidien. Je ne comprends pas pourquoi on me refuse mon dossier. En plus, ils ne me disent jamais quelles pièces manquent ». Le consul honoraire de la ville, Lionel Theng, constate: « Quand il s’agit de binationaux, c’est toujours la lutte pour obtenir les papiers. Depuis quelques années, ils sont de plus en plus tatillons au consulat. Quand il manque un papier, ils renvoient tout le dossier, ou ils font traîner. Certains finissent par abandonner ».

Au  consulat, certains dossiers sont suivis de près. « J’ai voulu un jour renouveler ma carte consulaire, et on m’a dit que je n’habitais plus Madagascar », raconte Rose. « Ils m’ont dit que j’étais mariée et que je résidais en France ». Quelqu’un lui avait volé son CNF et avait réussi à aller en France. Le cas de Rose n’est pas isolé. Certains binationaux, poussés par la misère sont même tentée de vendre un CNF inutile au quotidien. Jean-Baptiste Javel, 62 ans, lui aussi fils d’anciens colons, a été sollicité plusieurs fois : « On m’a déjà proposé près de 8000 euros pour mon CNF. C’est beaucoup d’argent, mais si je le vends, mes petits-enfants n’auront pas droit aux bourses pour l’école française ».

Pour Rose, depuis cette histoire d’usurpation d’identité, tout est devenu plus compliqué : « Je n’arrive pas à obtenir d’extrait d’acte de naissance. Ils me demandent à chaque fois de remplir des dossiers, mais c’est difficile. Je n’écris pas bien le français, et ça me coûte cher en photocopies ».

Cette galère des papiers, madame Germain, une autre française binationale, la connaît bien. A 60 ans, elle se bat pour obtenir un duplicata de son CNF, perdu dans un incendie : « Etre française, c’est appartenir à une communauté mais aujourd’hui, je me sens exclue. J’ai l’impression qu’ils ne veulent plus de nous ! C’était plus simple avant. Maintenant, tout est compliqué. On se sent un peu oubliés ».

Elise François-Dainville

Obtenir le label bio : pas si simple !

Face à l’engouement européen pour le bio, les producteurs s’organisent. Objectif : proposer des produits de qualité, certifiés bio. Mais pas facile d’obtenir ce précieux sésame qui leur ouvrira les portes d’un marché fructueux. Petite enquête dans le Sud-est de Madagascar, auprès de producteurs d’huiles essentielles.

texte et photos: Elise François-Dainville

Citronnelle, niaouli, ravintsara, saro, ylang-ylang…avec 80% d’espèces endémiques parmi près de 13 000 espèces de plantes, Madagascar est un paradis pour les producteurs d’huiles essentielles. Mais l’idée d’une agriculture intensive n’a pas encore fait son chemin. Les paysans récoltent encore leurs plantes ici et là, dans la nature. Engrais, pesticides ? Pour quoi faire ? Et puis, ça coûte si cher…La culture des plantes aromatiques est en grande partie bio, non pas en raison de l’application de méthodes biologiques, mais plutôt par défaut. Le paradoxe, c’est qu’en 2010 les exportations d’huiles essentielles certifiées ne concernaient que 4% environ des exportations bio totales. Tout est en majorité bio, mais rares sont les producteurs à obtenir la certification.

La distillerie de Kandot

Le bio, ça rapporte gros ?

Dans la plantation de Jean Walter, dans le sud-est de Madagascar, tout est labellisé « agriculture biologique » par Ecocert depuis un an. Sur son terrain, les pieds de girofle, ravintsara, ylang ylang et niaouli se succèdent. On dirait un algorithme géant. « Je les ai alternées volontairement. Toutes les plantes sont en symbiose, l’une repousse les insectes que l’autre attire. Les plantes interagissent, ce qui me permet de n’utiliser aucun pesticide. Pour nourrir les arbres, j’utilise les résidus distillation du niaouli. Ça me sert d’engrais naturel». Sa production est 100% bio pour des raisons…commerciales : « la motivation première est financière : la plus-value obtenue à la vente est de 20 à 30 % par rapport au produit dit conventionnel. En plus, peu de producteurs font l’effort financier de « s’acheter » la certification ECOCERT, ce qui me facilite la recherche de clients ». Le kilo d’huile de ravintsara classique passe de 78 euros à 90 euros en bio. Alors si cultiver tout en respectant l’environnement, ça peut rapporter gros, pourquoi tous ne s’y mettent-ils pas ?

Dans les faits, c’est plus compliqué

En théorie, la procédure pour la certification est facile. Les premières démarches s’exécutent sur le net. En quelques clics, on peut retrouver devis, formulaires, et mode d’emploi. Dans les faits, la certification s’avère plus compliquée. Les petits producteurs sont confrontés à un manque d’informations sur les principes et les méthodes de l’agriculture biologique. Ce n’est pas du jour au lendemain que l’on peut être certifié : « Il faut un historique sur 3 ans sur les cultures en question, le terrain, l’environnement le plus immédiat pour affirmer qu’aucun pesticide de synthèse n’a été utilisé », explique Jean Walter.

Mais ce n’est pas tout. Le producteur doit également pouvoir établir une traçabilité précise de ses produits. Madame Jeanine, productrice d’huiles essentielles, achète sa masse verte aux paysans locaux sans savoir exactement d’où viennent les feuilles. Comment être sûre que tel ou tel paysan n’ajoute pas d’engrais à ses pieds de citronnelle ? Plus il y a de cultivateurs, plus la tâche de l’inspecteur de l’organisme certificateur, est difficile. Il doit vérifier que chaque paysan respecte bien le cahier des charges. Quand il n’y en a qu’un, ça va, mais quand il y en a une cinquantaine, c’est plus compliqué ! Autre problème des producteurs : les semences biologiques exigées par la réglementation sont introuvables à Madagascar. Kandot vient de planter 10 000 pieds de ravintsara « avec le ravintsara par exemple, il n’y a pas de bouture possible. Il faut donc faire venir les plants de la capitale » mais dans ce cas,impossible de savoir si les semences sont effectivement bio. Il faut alors des dérogations et la procédure est plus longue. Et puis jusque dans le transport, il faut respecter le cahier des charges. Les huiles essentielles doivent être acheminées dans des bidons certifiés pour l’exportation vers l’UE. Mais parfois, les exportateurs collectent des huiles essentielles auprès de multiples petits producteurs qui les mettent dans des bouteilles de whisky vides. Difficile alors de vérifier que les contenants ont été correctement nettoyés et qu’ils sont bio.

Madame Jeanine, productrice d'huiles essentielles à Ranomafana

Le label se paie cher

Le montant élevé de la procédure de certification écarte les plus petits producteurs. « Le coût est surement l’obstacle le plus important. Le déplacement d’un technicien est toujours couteux. Ces personnes ne dorment pas à la belle étoile et ne mangent pas du manioc ! », précise Jean Walter. Alors bien sûr, le montant varie en fonction de la taille de l’exploitation, du temps passé par l’inspecteur sur le terrain, du coût des analyses d’échantillons (effectués en France car il n’y a pas de laboratoires accrédités en microbiologie à Madagascar pour les huiles essentielles !), du nombre de produits à certifier ou du chiffre d’affaire. Au final, la certification coûte en moyenne 1 euro par kilo d’huile essentielle. Kandot produit chaque année 5 tonnes d’huile essentielle de niaouli bio. Le certificat Ecocert lui coûte entre 1300 et 2000 euros chaque année (soit l’équivalent de quatre ans de salaire malgache !), entièrement pris en charge par la vente de son huile essentielle. Pour les plus petits producteurs, cette somme est pratiquement impossible à réunir. Au final, même s’ils respectent le cahier des charges de l’organisme certificateur, les petits producteurs n’ont pas les moyens de l’officialiser. Bien sûr, les portes du marché européen leur restent ouvertes, mais aujourd’hui, il est difficile d’y faire sa place sans ce précieux sésame.

Les petits producteurs sur la touche

Arnaud de Vanssay a aidé une petite entreprise à obtenir la certification Ecocert : « entreprendre toutes ces démarches seul, c’est impossible. Il faut avoir un associé, un professionnel au courant des normes européennes, pour que le produit réponde aux exigences du cahier des charges sur toute la ligne, de la graine semée jusqu’à l’emballage du produit fini ». Pour pallier cela, la solution de l’association semble la meilleure car elle permet de faire une demande collective. Mais même ça, n’est pas si simple. Producteur à Ranomafana, le docteur Rodary a tout essayé : « j’ai mis en place une association qui nous a parmi d’acheter un alambic en commun, mais au bout d’un an, les membres se sont éparpillés. Ils ont utilisé les moyens de la coopérative à des fins personnelles et se sont trouvé leurs propres marchés. Il nous a été impossible de franchir l’étape d’après : la certification biologique ». Une autre solution : les organisations non gouvernementales. Certaines aident les petits producteurs dans les démarches. Mais si, sur place, les producteurs ne sont pas autonomes et rigoureux, leur soutient ne suffit pas.

Au-delà des bénéfices financiers, la certification permettrait surtout aux petits producteurs de mettre en place des outils de suivi intéressants. Quand on sait qu’il y a quelques années, les arbres étaient systématiquement abattus pour permettre aux paysans de récolter les feuilles pour la distillation, quand on connaît les problèmes de déforestation à Madagascar, la certification biologique s’avère un moyen efficace pour limiter les abus, dans la mesure où les producteurs sont contrôlés régulièrement. Une certification plus accessible ne permettrait-elle pas d’encourager les plus petits à poursuivre leurs efforts ? Au final, malgré l’extraordinaire potentiel bio de Madagascar, la certification est encore exceptionnelle et demeure l’apanage des producteurs les plus fortunés.

Plantation de géranium près de Ranomafana

A SAVOIR

Le ravintsara

• Pour 100 kilos de feuilles, on obtient 1,5 kilo d’huile essentielle

• Pour un flacon 15 millilitres, il donc faut distiller 1 kilos de feuilles (et 1 kilo de feuiles, ça fait beaucoup de feuilles !)

• Chaque kilo de feuilles de ravintsara coûte entre 10 et 20 centimes d’euros.

• L’huile essentielle de ravintsara se vend entre 75 et 85 euros le kilo (on parle en kilo et non en litre !) à Madagascar, 110 euros en Europe.

Le niaouli

• Pour 140 kilos de feuille, on obtient 1 kilo d’huile essentielle.

• pour un flacon de 10 millilitres, il faut distiller, 1.4 kilos de feuilles

• Le kilo de feuilles de niaouli coûte 0,01 euro.

• L’huile essentielle de niaouli se vend entre 4,50 et 6 euros le kilo en Europe.

La distillation du niaouli

Chaque distillation dure 5 heures en moyenne. La cuve peut contenir jusqu’à 1,4 tonne de feuilles. Elle nécessite pour cela 3000 litres d’eau et 2,5 m3 de bois. Au final, on obtient 15 litres d’huile essentielle de niaouli.

Le litchi malgache dans le rouge

Depuis le 27 novembre dernier, la campagne de litchi est officiellement ouverte à Madagascar. Dans le Sud-est de l’île, l’exportation génère un nombre d’emplois important et constitue une source de devises non négligeable pour le pays. Pourtant, la filière litchi malgache doit faire face à une concurrence de plus en plus rude venue d’Afrique du Sud.

Rudimentaire, la camionnette…Il est à peine six heures du matin et, brinquebalante, elle quitte la petite ville de Manakara. Très rapidement, le chauffeur abandonne la route nationale pour s’engager sur une piste en terre rouge qui traverse les rizières. Il fait déjà très chaud. A l’arrière du véhicule, une centaine de garabs vides. Les garabs, ce sont les paniers en bambous qui servent à transporter les litchis. Chaque panier peut contenir environ 18 kilos de fruits. Au volant : Christian.  Habituellement conducteur de taxi brousse, il a pris des congés spécialement pour pouvoir faire la récolte de litchis. Il fait cela chaque année, depuis 5 ans : « On travaille beaucoup, mais il y a de l’ambiance pendant la collecte. Je ne rate jamais une campagne », confie-t-il en klaxonnant pour faire dégager la charrette à zébus qui lui bloque le passage. Le long de la piste, des garabs bien alignés attendent. Ceux-là sont pleins. « Combien ça coûte ? », crie Béatrice Rafaravavihenjana, la jeune collectrice de 23 ans, sans même prendre la peine de sortir de la voiture. Le démarcheur lui apporte une petite grappe : « 3000 Ariarys (environ 1,20 euros) le garab ! ». Trop cher pour des fruits qui paraissent bien petits. Béatrice fait un signe au chauffeur. Il vaut mieux faire encore quelques kilomètres. 

Les garabs alignés sur le bord de la piste attendent les collecteurs

Trente minutes plus tard, quelques garabs plus loin, le village de Behanana. Accueil festif. La venue des collecteurs est une aubaine pour les villageois, car les collecteurs des sociétés d’export sont les premiers de la saison à se déplacer en brousse. Ceux du marché local attendent que les fruits soient plus mûrs. En plus, les litchis destinés à l’exportation sont achetés aux paysans deux fois plus cher. A peine la portière de la camionnette ouverte, les producteurs se précipitent sur les paniers. Béatrice échange ses garabs vides contre un nom, griffonnée à la va-vite sur un cahier d’écolier. Elle repassera dans quelques heures les rechercher, directement chez les producteurs. La collectrice prend surtout le temps d’expliquer ce qu’elle attend : « Les fruits doivent être gros comme ça », dit-elle en montrant un litchi d’une trentaine de millimètres. « Je prends uniquement ceux qui sont encore à moitié verts, et puis il faut enlever toutes les tiges! ». Pour ces petits producteurs, qui possèdent en moyenne deux pieds de litchis, si cette collecte destinée à l’exportation est l’occasion d’avoir un peu d’argent facilement, ils s’inquiètent toutefois des normes strictes qui évoluent d’année en année. Ils craignent que leurs litchis, une fois cueillis et ôtés de leur tige, ne soient refusés par le collecteur. Dans ce cas, les fruits récoltés trop tôt seront invendables sur le marché local.  

Distribution de garabs vides par la collectrice

DES NORMES DE PLUS EN PLUS STRICTES

En plus du calibre, les normes phytosanitaires et sanitaires doivent être obligatoirement respectées depuis 2007. Hery Ralaimiza, responsable du référentiel Global Gap d’une entreprise d’export explique : « des supermarchés se sont associés en Europe, pour mettre en place le référentiel Global Gap. Ils exigent une traçabilité sur le fruit. Et si le cahier des charges n’est pas respecté, nous ne pouvons pas exporter. Désormais, nous devons aussi contrôler les producteurs en brousse ». Le référentiel concerne l’hygiène, la sécurité et la santé. Il faut, par exemple, se laver les mains avant la récolte et le triage des fruits, construire des latrines, éviter que les zébus ne paissent à proximité des arbres. Les mesures paraissent évidentes, mais elles sont loin d’être respectées. « Il est difficile de faire changer les mentalités des producteurs », regrette Hery  Ralaimiza. « Ils nous disent que ça a toujours bien fonctionné ainsi, et nous demandent pourquoi il faut changer ». Pourtant, le non respect de toutes ces consignes risque de mettre la filière litchi malgache sur la touche. Si ces normes ne sont pas appliquées, les clients européens n’hésiteront pas à se tourner vers d’autres pays producteurs. 

Les litchis destinés à l'exportation doivent être ôtés de leur tige

LA CONCURRENCE VIENT D’AFRIQUE DU SUD

Le litchi sud-africain…la hantise des exportateurs malgaches. Pourtant, avec ses 25 000 tonnes de fruits exportés en moyenne chaque année, le litchi malgache ne devrait rien avoir à envier à son voisin sud-africain qui en produit cinq fois moins. Et si du côté de La Réunion et l’Ile Maurice, il n’y a rien à craindre (en proposant du litchi frais et branché, ils ne se situent pas sur le même créneau que Madagascar), en revanche, l’Afrique du Sud, qui exporte aussi par voie maritime, est un sérieux concurrent.

départ pour la société d'exportation

Jusqu’à présent, Madagascar a su relever le défi en réussissant à fournir le marché européen plus tôt que son concurrent sud-africain. Aujourd’hui, le pays continue de fournir 70% du marché européen, contre 28 % pour l’Afrique du Sud. Mais de plus en plus, l’horizon s’obscurcit.  Pour M. Laurent, chargé de la recherche et du développement au sein d’une société d’exportation, l’Afrique du Sud est une menace: « Depuis quelques années, l’Afrique du Sud s’est engagée dans la recherche de variétés plus précoces. Avant, ils avaient  deux ou trois semaines de retard sur Madagascar mais maintenant les litchis sud-africains arrivent en même temps que les nôtres. C’est un gros problème pour nous parce que là-bas, ce sont des plantations. Pas comme ici. Du coup, le calibre est nettement plus homogène et plus gros que celui de Madagascar ». L’avenir de cette filière, qui génère environ 15 millions d’euros chaque année, est donc incertain. A moins que de nouveaux débouchés ne soient trouvés….Mais avec la crise que connait le pays actuellement, rien n’est moins sûr.

Elise François-Dainville