A Madagascar, les combats de coqs sont répandus. Presque chaque commune est dotée de son propre « gallodrome ». Reportage à Manakara, au Sud-Est de l’île.
On raconte qu’au temps des rois, dans le royaume Imerina (au centre Nord de Madagascar), le monarque Andrianampoinimerina, organisait des combats de coqs dans son palais. C’était au XVIIIème siècle. Trois cents ans plus tard, la pratique s’est répandue sur toute l’île.
A Manakara, les combats attirent chaque week-end plus d’une centaine de spectateurs. Ce sont surtout des hommes venus parier, et se défouler. Sous le chapiteau en falaf construit spécialement par la mairie pour abriter les combats, l’ambiance est virile. Ici, le langage a été déjà tellement trivial que le comité du Coq Fighting de la ville, l’association qui régit l’organisation des combats, a voté une nouvelle clause dans le règlement : injures et obscénités sont interdites lors des combats, sous peine d’exclusion. Le public se tient donc à carreaux, mais tant bien que mal. Il faut dire que les enjeux sont importants, à la hauteur des sommes engagées.
LES COQS LUTTENT JUSQU’À ÉPUISEMENT
Robot, Dollar, Chirurgien ou encore Ben Laden, chaque coq reçoit son nom après un premier combat glorieux. Le nom symbolise le courage de l’animal. S’il recule devant l’adversaire, le coq doit mourir de la main de son maître, dont l’honneur aura été bafoué. Poids, taille, âge, tout compte dans une bataille coq. Une fois les paris lancés, les gallinacés sont nettoyés à l’eau par l’arbitre pour éviter la triche. Les pattes pourraient avoir été enduites de piment, salpêtre, ou autre produit chimique susceptible d’abîmer les yeux de l’adversaire, et de le déstabiliser…
Vient l’heure du combat. Les jockeys placent les deux coqs l’un en face de l’autre. Déjà, les plumes du cou se hérissent en collerette, pour impressionner l’autre. Ils se jaugent, le cou tendu et le corps à l’horizontal.
Puis tout s’accélère. Les coqs se jettent l’un sur l’autre avec une rapidité stupéfiante. Un coup de bec sur la tête pour prendre appui, un battement d’ailes pour décoller les pattes du sol. Les ergots vont directement frapper à la tête de l’adversaire. Le coup est violent, capable de faire perdre conscience à l’animal.
Dans ce combat, les coups portés sont tellement rapides qu’il est même difficile d’en distinguer les étapes. On croirait que les coqs sont en train de danser, sauf qu’ils sont en train de s’entre tuer. Le bruit des ailes couvre celui des coups de becs. Mais rapidement, les pattes se mettent à trembler, le sang à couler: les crampes paraissent insoutenables. L’un des deux adversaires est obligé de se reposer un instant, sous les encouragements du public et des parieurs.
C’est là que le jockey entre en scène. Il est l’équivalent du cut-man du combat de boxe. Il soigne, et surtout, il encourage le coq en permanence, par la voix, et en l’aspergeant d’eau fréquemment pour rafraîchir, mais aussi pour exciter le coq. Entre chaque touche (sortie de ring inopinée), le jockey soigne son gladiateur qui ne ressort jamais indemne de ce combat. Son rôle est déterminant puisqu’il peut décider de cesser le combat pour la survie de son coq. A Manakara, les combats sont rarement fatals. Ils s’achèvent lorsque l’un des deux adversaires abandonne l’arène.
EN DEHORS DES COMBATS, LES COQS SONT CHOYÉS
« C’est comme des boxeurs, il faut les entretenir, les bichonner », explique Olivier, propriétaire du plus grand parc du Sud-Est de Madagascar. Dorlotés, choyés, ils suivent toutefois un régime de vie très stricte. Ils combattent deux fois tous les quinze jours et c’est seulement après cinq jours de repos total que l’entraînement peut recommencer, chaque matin aux aurores. Friction, musculation pour renforcer la propulsion des ailes, épreuves de réflexes, les techniques sont adaptées à chaque animal. L’ultime exercice vise à éprouver l’agressivité de l’animal : placé face à un autre coq de combat, on évalue son envie de se battre.
Les coqs jouissent par ailleurs d’un régime alimentaire particulier : ils sont nourris de maïs, riz, viande, bananes et même de viande rouge. Certains racontent même que l’on donne des poussins vivants à ces coqs pour leur donner le goût du sang et du combat. Pour renforcer leur constitution, les animaux bénéficient de compléments alimentaires. Si les hormones sont difficiles à trouver à Madagascar, les propriétaires peuvent s’approvisionner en calcium, fer et vitamines chez le vétérinaire. Les coqs sont vaccinés tous les trois mois contre la variole, la peste ou le choléra. « C’est comme des enfants, il faut les protéger. Ils sont très vulnérables », explique Olivier qui raconte aussi avoir perdu cent coqs en 2003 à cause de maladies. A force d’entraînement et de régime alimentaire particulier, certains coqs de combat vont jusqu’à peser 5 kilos.
Tout cela représente un certain coût. Au quotidien, un coq de combat coûte environ 600 Ariarys, soit l’équivalent d’un repas pour deux personnes environ. Chaque mois, Olivier dépense 600 000 Ar (250 euros environ) pour l’entretien de ses coqs, soit l’équivalent de huit salaires moyens à Madagascar. A cela, il faut ajouter les dépenses liés aux soins dispensés après chaque combat. Parfois, le bec est cassé, parfois, ce sont les yeux qui ont été crevés…
Le coq en lui-même coûte déjà très cher. A l’heure actuelle, l’espèce en vogue à Madagascar est le « chair noire ». Chez ce coq, tout est noir: les yeux, le bec, et les pattes. Il est très prisé pour sa force de frappe. A trois mois, il coûte déjà 40 000 Ariays, soit 13 euros environ. Olivier, lui, fait venir ses coqs de l’île voisine de La Réunion. Un coq lui coûte donc entre 300 000 et 600 000 Ar, soit environ 200 euros. Chaque année, il y a un nombre difficile à déterminer de coqs importés clandestinement à Madagascar. Les vols de coqs sont nombreux « Parfois les voleurs préfèrent s’emparer des coqs de combat entraînés, plutôt que de la télévision« , raconte Olivier.
LES COMBATS DE COQS : UN BUSINESS LUCRATIF
La crise politique et sociale qui sévit actuellement dans le pays ne décourage pas les passionnés. Au contraire : il semble que le combat de coqs soit devenu un exutoire et qui peut rapporter gros.
A 39 ans, Pita Andriarimalala est un vrai passionné. Cette passion lui vient de son grand-père qui élevait lui-même des coqs de combat. « C’est mon passe temps favori, en dehors de ma famille », confie celui qui avoue aussi demander à sa femme la permission d’aller jouer. Pita possède quatre coqs de combat, dont les combats lui assurent la moitié de ses revenus mensuels. Certains sont capables de miser leur salaire, leur terrain, leur maison, ou même leur femme ! Au final, l’intérêt lucratif a largement dépassé le côté ludique. Quant aux associations de défense des animaux, elles sont pratiquement inexistantes, et encore très peu influentes sur l’île rouge.
Elise François-Dainville